LES VOLONTAIRES DE LA RÉSERVE, 1800-1801 [Passepoil]

J’ai donné en 1908, dans mon livre sur les Gardes d’honneur du premier Empire, les indications essentielles concernant l’histoire de ces volontaires créée par l’arrêté des consuls du 17 vendémiaire an VIII (8 mars 1800) et montre comment cet appel de volontaires constituait la première tentative faite par Bonaparte pour rallier à sa personne les classes dirigeantes (noblesse et riche bourgeoisie) qui boudaient au général issu de la Révolution. Depuis l’apparition de mon livre, deux articles ont vu le jour concernant la question. En 1911, M. COTREAU présentait dans le Carnet de la Sabretache une étude sur l’histoire de ces volontaires, et le 15 mars 1939 un article, paru dans l’Intermédiaire des chercheurs, apportait des précisions sur un point particulier. Ces deux études, qui se complètent l’une l’autre, permettent de répondre à la question des hommes a pied sur laquelle j’avouais en 1908 mon ignorance.

Aux termes mêmes de l’arrêté consulaire du 8 mars 1800 :

« Les citoyens français autres que ceux nommes à l’article 2 qui, dans cette circonstance extraordinaire voudront accompagner le Premier Consul et participer aux périls et à la gloire de la campagne prochaine se feront inscrire chez les préfets et sous-préfets. Le ministre de la Guerre donnera les ordres necessaires pour qu’ils soient formes en bataillons volontaires. Ceux qui auront le moyen de se proeurer des chevaux seront formés en escadrons volontaires. Ils seront définitivement organisés à Dijon et les officiers seront nommes par le Premier Consul. »

Les détachements formés par les préfets et sous-préfets devaient rejoindre Dijon, lieu de formation désigné pour le corps. Les volontaires à pied y furent organisés le 20 janvier en un bataillon d’infanterie légère à l’effectif de neuf compagnies, dont une de carabiniers, et qui prit le nom de: « Bataillon de Volontaires de la Réserve ». Ce bataillon était arrivé en Italie pour le 1er octobre. Le 10 mai 1801, ces huit compagnies de chasseurs étaient versées à la 52e demi-brigade de ligne; la compagnie de carabiniers detachée a l’armée des Grisons fut versée le 21 mai à la 87e demi-brigade.

L’histoire des volontaires pour la cavalerie est beaucoup moins simple. Ils furent avant d’être dirigés sur Dijon groupés en trois points : Orléans, Caen et Paris. C’est le général Mathieu-Dumas qui fut chargé à Paris du recrutement des volontaires. Dès le 5 germinal (26 mars 1800) la 1re compagnie avec le titre de « Hussards volontaires de la Ville de Paris » est présentée au Premier Consul, et le 1er avril le Moniteur écrit à ce sujet :

« On voit avec plaisir, dans les mêmes rangs, les vrais otages de la confiance du Gouvernement et du dévouement à la République. Les enfants des grands propriétaires vont faire leurs premieres armes avec des citoyens couverts d’honorables cicatrices, avec des officiers qui sans égards à leur grade et servant comme simples hussards acquièrent une nouvelle instruction et de nouveaux droits a la reconnaissance nationale. »

Le 19 germinal (9 avril), Bonaparte désignait comme colonel le citoyen Labarbée (Marin de la Barandière de la Barbée). Le 9 floréal (29 avril) il nommait les officiers (dont Philippe de Ségur) presque tous d’anciens nobles, et le 11 floréal (1er mai) le 1er escadron complètement organisé partait pour Compiègne. À Paris, il avait porté successivement les noms de « Cavalerie de la Légion du Premier Consul » puis de « Hussards Bonaparte », que les quolibets des Parisiens changèrent bientôt en celui de hussards canaris, en raison de la couleur de leur pelisse et dolman jaunes.

De Compiègne, le 1er escadron fut mis en route pour Dijon oû il arriva le 13 juin et là le colonel reçut l’ordre de former le 2e escadron à l’aide des détachements et des cavaliers venus des divers points de la province, et c’est ici que la question se complique.

Il faut remarquer que les volontaires qui avaient repondu à l’appel du premier Consul pour s’engager dans la cavalerie se répartissaient en deux categories bien distinctes : ceux qui avaient un cheval et ceux qui n’en avaient pas. C’étaient les premiers surtout qui intéressaient Bonaparte car ils appartenaient à ces classes aisées qu’il cherchait à rallier à sa personne. Ce furent ceux-la que l’on expédia sur Dijon.

Quant aux autres, ils restèrent groupés dans les deux centres d’Orléans et de Caen et reçurent une distinction inattendue pour eux. Le premier Consul n’ayant pas de chevaux pour les monter les groupa en deux bataillons d’infanterie à neuf compagnies. Pour ne pas les décourager, ils furent baptisés Hussards et pour montrer l’espoir que l’on gardait de les remonter un jour, ils reçurent un uniforme de cavalerie légère. C’est ainsi que l’arrêté du 3 mai 1800 créait deux bataillons de hussards à pied, le 1er à Orléans, le 2e à Caen avec un uniforme composé d’un dolman et d’un pantalon gris de loup avec distinctive cramoisi au 1er bataillon et bleu de ciel au 2e; comme coiffure, le bonnet polonais. Ces deux bataillons formèrent, au mois d’août, la demi-brigade de hussards à pied qui fut affectée à l’armée des Grisons et supprimée à Trente au debut de 1801; le 1er bataillon fut incorporé le 15 fevrier dans le 45e de ligne et le 2e dans le 17e léger; le 20 mai les deux compagnies de carabiniers furent versées au 87e de ligne.

Les hussards Bonaparte, eux, quittèrent Dijon au début de juillet pour Genève. On les retrouve en novembre à Ebersberg, sous le nom de Hussards volontaires de l’armée du Rhin. Arrivé à Metz le 24 mars 1801, le corps y est licencié le 15 avril : 298 hommes sont congédiés; 311 versés à divers corps de cavalerie. Comme on le voit, les Hussards Bonaparte n’avaient pas mis les pieds en Italie.

À la fin de son article du Carnet de la Sabretache, M. COTREAU faisait allusion à une image populaire parue chez Basset qu’il venait de retrouver et qui représentait : «Louis Bonaparte, frère du premier Consul, commandant des hussards volontaires.» Nous ignorons en quelles mains se trouve aujourd’hui cette image qui n’a pas été reproduite, mais ne serait-elle pas la soeur jumelle de celle que nous reproduisons ici et qui nous a été obligeamment communiquée par un collectionneur parisien averti : M. Raoul MIALLET. M. COTREAU precisait que son image était coloriée « à peu près avec les couleurs des volontaires de la réserve ». Sur celle que nous reproduisons ici la culotte est bleue, le dolman rouge avec les tresses dorées, la ceinture dorée, la schabraque et la sabretache rouges bordées or. Comme on le sait, Louis Bonaparte ne reçut jamais le commandement d’aucune des trois formations issues des volontaires de la réserve; mais cette affiche montre que peut-être le premier Consul avait eu l’intention de lui donner le commandement des Hussards Bonaparte. En tous cas, il laissait se propager cette image, et le fait qu’elle ait été éditée à Orléans, un des centres de rassemblement de ces volontaires, montre bien son intention de favoriser le recrutement de ce corps, et d’engager les jeunes volontaires à se procurer des chevaux pour avoir l’honneur de servir dans le corps commandé par le frère du premier Consul.

L’uniforme des volontaires de la réserve (bataillon de hussards) est connu, ainsi que celui des bataillons de hussards à pied; nous n’y reviendrons pas. Remarquons seulement qu’en ce qui concerne les hussards, aucun renseignement précis n’a encore été publié sur leurs trompettes. Voici ce que nous ayons pu reunir a ce sujet. Tout d’abord il existe un type de trompette que l’on trouve dans la collection Carl de Strasbourg : dolman et pelisse jaunes, la culotte bleue du corps, le tout orné de tresses et de galons tricolores. Mais ce trompette est coiffé d’un schako à visière acceptable pour 1805 mais qui me parait invraisemblable pour 1800 et me fait douter de tout l’uniforme. À la demande de plusieurs collectionneurs de soldats d’étain, j’avais proposé une reconstitution de ce trompette basée sur ce que l’on sait de l’uniforme des trompettes des corps de hussards à cette epoque : surtout jaune avec boutonnières galonnées en argent, hongroise bleue du corps et chapeau tricolore. Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse, on peut aussi supposer un surtout sans garniture servant de seconde tenue à côté du dolman.

Enfin, M. Benigni nous a signalé l’existence sur le tableau de Mongin qui se trouve au Musée de Versailles et qui représente le passage du Mont Saint-Bernard, d’un trompette qu’il a représente sur la planche n°3 ci-jointe. Il nous écrit à ce propos :

« Ce trompette ne peut appartenir qu’aux Hussards Volontaires, dont quelques-uns figurent dans le tableau. Les couleurs de sa tenue et certains details, tel le monogramme RF, confirment cette opinion, bien que le corps n’ait pas fait partie de l’Armée d’Italie. Les artistes du temps ne s’embarrassaient pas toujours de scrupules semblables et certains tableaux officiels contiennent des erreurs ou des anachronismes autrement flagrants.

Passons maintenant aux details de l’uniforme : le colbach, d’une forme quelque peu tronconique, que l’on retrouve dans la revue du Decadi, d’Ysabey, la luxueuse schabraque en drap, doublement galonnée, au lieu du shako à flamme et de la peau de mouton de la troupe, la trompette argentée à banderole rose foncé, les tresses en argent, la dentelure bordant le licol de parade témoignent du soin apporté pour rehausser l’éclat de la tête de colonne d’un corps que l’on voulait trié sur le volet. A noter aussi l’inversement de la couleur pour la pelisse seule. Ce cas s’est produit parfois pour les trompettes de certains régiments de hussards et ne peut s’expliquer que par le désir d’augmenter le brillant de la tenue en faisant trancher la pelisse sur le dolman, lorsque ces deux efiets etaient portés conjointement dans les parades. Enfin la culotte de peau, vestige des anciennes livrées. J’ai dessiné la sabretache, invisible sur le tableau, d’après l’estampe que M. COTREAU a publiée dans le Carnet de la Sabretache. Les chevaux du corps, provenant des requisitions, étaient à courte queue. »

Comme je l’ai en effet démontré plus haut, les Hussards Bonaparte n’ont pas participé à la campagne d’ltalie et n’ont jamais passé le Mont Saint-Bernard; mais je partage l’opinion de M. Benigni que le Trompette représenté sur cette toile ne peut appartenir qu’à ce corps. C’est là un exemple a retenir de la valeur documentaire très relative de la peinture historique, meme quand elle est contemporaine.

Commandant E.-L. BUCQUOY.


Le texte et les images sont tirée du bulletin Passepoil, années 1941-1945, pages 9-12.

Sites pertinents:

https://sehrileblog.wordpress.com/1800-hussards-de-bonaparte-et-hussards-a-pied/

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